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Chronique
Aimé Césaire
1913-2008
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Premier héraut de la négritude, poète et homme politique, Aimé Césaire est un de ces personnages dont la stature dépasse amplement les seules bornes d’une biographie ou d’une bibliographie.

L’écrivain et penseur martiniquais est aussi une référence spirituelle majeure pour une bonne partie de la scène musicale francophone, en même temps qu’un exemple magistral pour des peuples qui n’ont pas la chance d’être nés sur la rive prospère de l’océan Atlantique.

Certes, il fut pendant un demi-siècle député de la Martinique mais aussi une parole universelle puisque co-fondateur de la négritude, pensée libératrice de l’homme noir qui, aux Amériques ou en Afrique, vivait sous la domination matérielle et mentale de la civilisation européenne.

Au commencement, il fut un des plus brillants fils de cette civilisation : venu d’une famille nombreuse et petit-fils du premier enseignant noir de la Martinique, Aimé Césaire est remarqué pour ses dons et sa capacité de travail. Orienté vers le lycée Louis-le-Grand à Paris, établissement de l’élite des écoles de la République, il y rencontre dès le jour de son arrivée, en 1931, Léopold Sédar Senghor, Sénégalais qui l’a précédé sur le même chemin d’excellence. Ensemble, ils réfléchissent à leur situation commune d’hommes noirs issus du vaste empire colonial français tout en se passionnant pour Apollinaire et Mallarmé, et pour les idées politiques qui agitent le milieu étudiant dans ces années turbulentes. Ensemble, ils posent les jalons de ce qui deviendra la négritude, affirmation de liberté individuelle et restauration de leur fierté identitaire.

Dans ses premiers écrits, et notamment Cahier d’un retour au pays natal, publié en 1939, Césaire propose une nouvelle dignité à l’homme noir, au-delà des oppositions rituelles entre opprimé et oppresseur, prolétaire et bourgeois, « civilisé » et « primitif ». Poète proche du surréalisme, il dynamite la vieille syntaxe poétique française en même temps que les idées européocentristes, sur une trajectoire qui conduit « à la fois à la liberté et à l’homme nègre ».

Si, en France, Césaire n’est d’abord connu que des milieux lettrés ou engagés, sa pensée est un choc pour la société antillaise. Alors que l’idéal social, politique et même esthétique est y associé au Blanc, il dit haut et fort le mot « nègre » dans un sens positif et non plus seulement péjoratif, ce qui est une révolution intellectuelle, artistique et aussi politique.

La révolution qu’apporte la négritude est surtout une affaire d’estime et de respect, à une époque où les artistes et les intellectuels antillais hésitent entre de multiples tentations contradictoires – se fondre dans la culture métropolitaine, se rêver américains par le jazz, affirmer une identité folklorisée et polie… Césaire clame : « Je commanderai aux îles d’exister ».

D’abord membre du Parti communiste française, il créera quelques années plus tard le Parti populaire martiniquais, détaché du marxisme. Son premier combat politique majeur est la fin du statut de colonie pour les possessions françaises d’Amérique et le soutien à la départementalisation, qu’il pense être une voie plus sûre pour l’émancipation morale de son peuple que le combat pour l’indépendance pure et simple. Maire de Fort-de-France dès 1945 (à trente-deux ans), professeur de lycée, député régulièrement installé à Paris pour les sessions parlementaires, il poursuit néanmoins son œuvre littéraire exigeante.

Amoureux de la langue de Mallarmé ou Apollinaire, il affirme : « Je suis un Martiniquais qui emploie le français. Un français bien à moi, recréé à ma mesure et selon mes ambitions. » Mais l’auteur savant fascine les classes populaires antillaises et les artistes qui en seront issus par sa révolutionnaire audace, la hauteur de son écriture, la fulgurance de ses exigences esthétiques. Un maître, y compris pour les arts populaires.

Par Bertrand Dicale
Crédit photo : Henri Martinie/Roger-Viollet

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